interview

Isabelle Varescon et Sasha Mathieu, des scientifiques qui ne laissent rien au hasard

Isabelle Varescon est professeure en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université de Paris et directrice du Laboratoire Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS, UR 4057). Sasha Mathieu est docteure en psychologie clinique et chercheure associée au LPPS. Leur point commun : la recherche sur les addictions et comportements liés aux jeux de hasard et d’argent. Interview d’un duo de scientifiques-cliniciennes qui œuvrent de concert à l’étude du jeu sous l’angle de la psychologie.

Interview d'Isabelle Varescon et de Sasha Mathieu

« Ludocorpus : Bonjour Isabelle Varescon, bonjour Sasha Mathieu. Merci d’avoir répondu à notre invitation. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter ?

Isabelle Varescon : Je suis psychologue clinicienne, docteure en Psychologie, puis j’ai débuté une carrière universitaire en tant que Maître de Conférences à l’Université Paris Descartes. Ensuite, j’ai obtenu une Habilitation à Diriger des Recherches qui m’a permis d’obtenir le concours de Professeure des Universités. Je suis donc actuellement Professeure à l’Université de Paris où je dirige une Unité de Recherche : le laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé. Parallèlement à mon métier d’enseignant-chercheur, je suis élue au Sénat de l’Université de Paris, au conseil de faculté Sociétés et Humanités de cette même université. Je suis également membre élu du conseil d’administration de la Société Française d’Alcoologie, du Conseil Scientifique de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies, du comité d’éthique de la Ligue contre le cancer, etc.

Sasha Mathieu : Comme Isabelle, je suis psychologue clinicienne et docteure en psychologie. J’ai effectué l’ensemble de mon cursus universitaire à l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris, dont ma thèse de doctorat. Mon intérêt pour la recherche s’est développé assez tôt dans mon parcours universitaire et notamment grâce à des cours donnés par Isabelle, sur la méthodologie de la recherche. Après avoir obtenu le diplôme de psychologue clinicienne, j’ai souhaité poursuivre en thèse, d’ailleurs effectuée sous la direction d’Isabelle. Mon mémoire, accessible en ligne, porte sur les motivations, les croyances et les émotions des joueurs de jeux de hasard et d’argent. Actuellement, j’interviens également sur d’autres recherches du LPPS, laboratoire auquel je suis désormais affiliée.

L. : Isabelle, vous dirigez le laboratoire LPPS (psychopathologie et processus de santé) de l’Université de Paris. Quels sont les grands axes de recherche de votre laboratoire ? Quelle place le jeu y tient-il en tant qu’objet d’étude ?

I. V. : Depuis que j’en assure la direction, le LPPS a été réorganisé en monoéquipe/multiaxiales. Trois grands axes le composent : Psychopathologie du développement socio-émotionnel et cognitif ; Santé physique et mentale : adaptation et vulnérabilité ; Interventions thérapeutiques et prévention. Je suis spécialisée dans le domaine des addictions avec ou sans substances. À ce titre, les études sur le jeu ont toujours occupé une place au sein du LPPS en matière de recherche mais aussi d’enseignements.

Nous nous sommes surtout intéressés à l’identification des facteurs de vulnérabilité aux jeux de hasard et d’argent, à travers des méthodes qualitatives et quantitatives, en milieu écologique ou de soins. Ceci dit, nous nous orientions également vers la prévention avec, par exemple, des études d’impact destinées à comprendre de quelle façon le jeu vidéo ou encore des mangas pourraient avoir un effet sur les addictions.

L : Quelques exemples pour préciser ?

I. V. : La première thèse de psychologie clinique et psychopathologie en France sur les jeux de hasard et d’argent, que j’ai d’ailleurs co-dirigée, a été soutenue au sein de notre Université, dans notre laboratoire en 2008… Depuis des thèses ont été soutenues sur la thématique du jeu… et ont fait l’objet de publications. Plusieurs recherches ont été réalisées, d’autres sont en cours ou vont débuter prochainement. Par exemple, je viens d’obtenir avec des collègues français et québécois un contrat financé par l’ANR intitulé Jeu Vieilli.

Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé
Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé

L : Sasha, votre thèse a été dirigée par Isabelle et désormais vous êtes chercheuse au LPPS. Pouvez-vous revenir sur les prémices de cette collaboration ?

S.M. : À l’origine, Isabelle était l’une de mes professeures en Licence et en Master. J’appréciais déjà beaucoup sa manière de transmettre les connaissances tant du point de vue clinique que de celui de la recherche. Au cours de mes démarches pour préparer un travail de thèse, elle m’a proposé de l’effectuer sous sa direction, proposition que j’ai acceptée avec plaisir. Réaliser une thèse a été très enrichissant pour moi, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Et même si des aléas propres à la recherche sont survenus, j’ai beaucoup apprécié cette aventure aux côtés d’Isabelle qui a su être à l’écoute de mes besoins au long de ces trois années. Finalement, notre collaboration s’est ensuite poursuivie de manière naturelle à travers la rédaction d’articles scientifiques ainsi que de nouveaux travaux de recherche.

Vos domaines d’étude ont donc trait aux jeux, mais s’étendent aussi sur des sujets plus vastes ?

À présent, notre collaboration avec Isabelle va au-delà du jeu puisque nous avons aussi travaillé main dans la main dans le cadre d’une enquête sur les pratiques de consommation chez les jeunes adultes. S’il s’agit d’un sujet qui s’éloigne en apparence du jeu, et notamment des jeux de hasard et d’argent, des similitudes peuvent s’observer entre des conduites avec et sans substances, notamment sur la fréquence de la conduite pouvant aller de récréative à excessive, sur les motivations à s’initier à une nouvelle conduite et à réitérer cette dernière ou encore sur les fonctions que cette conduite vient remplir.

De façon plus générale, mes domaines d’étude portent sur les comportements quels qu’ils soient, et sur les facteurs pouvant influer sur leur réalisation. En effet, je m’intéresse particulièrement aux conduites, dites « récréatives » à celles « problématiques », avec ou sans substances, ainsi qu’à la spécificité de certains régimes alimentaires comme le végétarisme (au sens large du terme), et tout ce qui a trait aux motivations à initier et poursuivre une conduite, aux cognitions liées à celle-ci, aux émotions et stratégies de régulation émotionnelle, ainsi qu’à l’image du corps.

L : En 2020, des travaux que vous avez menés ont donné lieu à deux articles dans des revues internationales à comité de lecture. Quel était l’objet de ces recherches ? Leurs spécificités ?

I.V. : Les deux articles dont vous parlez sont issus des données de la thèse de Sasha. Le projet de recherche dans lequel Sasha s’est inscrite pour faire sa thèse avait été initié au sein du LPPS peu de temps auparavant. Il est essentiel de valoriser et de diffuser les travaux menés dans le cadre d’un doctorat, au niveau international.

S.M. : Soulignons que les deux articles portant sur le jeu ont été publiés en 2020 aux côtés d’Isabelle et en collaboration avec des collègues de Tours, Paul Brunault, psychiatre et médecin addictologue, et Servane Barrault, psychologue clinicienne, Maître de conférences-HDR à l’Université de Tours

L’un des articles publiés avait pour objectif d’étudier les facteurs associés au type de jeu pratiqué, incluant le degré de sévérité de jeu, les motivations à jouer et les croyances liées aux jeux de hasard et d’argent. Alors que la littérature suggère l’existence de différences en termes de profils selon que l’individu joue à des jeux de hasard et de stratégie tels que le poker ou des jeux de hasard purs, tels que les machines à sous, rares sont les études qui à ce jour intègrent le type de jeux joués comme étant un facteur à part entière pouvant influer sur la conduite de jeu. Nous souhaitions ainsi mettre en lumière les différences existantes selon les joueurs et leur pratique de jeu.

Le second article publié porte sur l’association des dimensions d’impulsivité et des croyances liées au jeu avec la conduite problématique de jeu, où une distinction est effectuée selon que les joueurs remplissent ou non les critères de trouble de l’attention et hyperactivité.


Liens vers les articles mentionnés :

The role of gambling type on gambling motives, cognitive distortions, and gambling severity in gamblers recruited online
The recent literature shows that the type of gambling practiced influences problem gambling. This study was aimed at investigating the factors associated with gambling type, including gambling severity, gambling motives, and cognitive distortions. A total of 291 regular male gamblers (229 skill gamb…

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1162908820300554


L. : Quelle est votre actualité tant que chercheures ? Avez-vous d’autres projets liés à l’étude du jeu ?

I. V. : J’ai pour ma part été sollicitée récemment pour évaluer l’impact d’un jeu de vidéo sur la prévention de la consommation de substances.,

S.M : Concernant le jeu, je suis toujours en train d’analyser une partie des données obtenues dans le cadre de ma thèse qui sont issues d’entretiens de recherche principalement réalisés avec des joueurs de poker et des parieurs sportifs.

L’idée est de continuer à diffuser autour du jeu notamment à travers la publication de nouveaux articles. La subvention récemment obtenue du GIS Jeu et Sociétés me permettra en outre de publier les éléments mis en avant dans les discours des joueurs.

En parallèle, je suis amenée à travailler sur des projets de recherche qui portent sur d’autres thématiques que celle du jeu. Je suis actuellement sur le point de terminer un post-doctorat portant sur les pratiques de consommations (alcool, tabac, cannabis) des jeunes adultes. Celui-ci a été réalisé en collaboration avec Isabelle et en partenariat avec l’Observatoire Français de Drogues des Toxicomanies.

Enfin, accompagnant des jeunes présentant un trouble de développement tel que l’autisme en tant que psychologue, j’ai eu également à cœur de travailler sur un projet de recherche portant sur l’évaluation d’un dispositif de répit artistique mis en place pour les jeunes aidants, c’est-à-dire des jeunes mineurs ayant un proche malade, ayant un handicap ou une addiction. Ce projet de recherche prend également naissance au LPPS et s’effectue en lien avec l’Association nationale JADE.

L : Vous mentionnez le soutien du GIS Jeu et Sociétés via son appel à projets. Dans la pratique, comment le groupement d’intérêt scientifique a-t-il été un facilitateur pour vos travaux ?

I. V. : Oui, le soutien du GIS, sous la forme d’une dotation financière a contribué à la mise en place des recherches et/ou à leur valorisation sous forme d’articles scientifiques ou de communications.

S.M. : Comme l’a indiqué Isabelle, ce soutien financier du GIS a, dans la pratique, été utile pour la diffusion de connaissances par le biais de plusieurs médiums. Pour ma part, cela m’a permis de présenter des résultats issus de ma thèse de doctorat dans des articles à comité de lecture, et dans des congrès nationaux et internationaux. Ces expériences ont par ailleurs renforcé mon intérêt pour la recherche et m’ont permis d’avoir des échanges stimulants et enrichissants sur le jeu.

Si les subventions obtenues du GIS Jeu et Sociétés ont aidé à la diffusion de connaissances, je tiens à préciser pour les lecteurs de Ludocorpus que l’organisme n’a joué aucun rôle dans la conception ou la conduite des études, dans la collecte, l’analyse et l’interprétation des données, ou dans la préparation, révision et approbation des articles soumis aux revues scientifiques.

Enfin, le fait d’avoir pu publier dans des revues prestigieuses telles que Plos One, a suscité l’intérêt d’organismes internationaux comme le Gambling Research Exchange Ontario qui a repris les données de l’article et en a fait une synthèse. C’est une sorte d’effet domino : l’aide du GIS a facilité la publication de l’article qui a précédemment été accepté par le comité de lecture, ce qui a permis de faire connaître nos travaux et de poursuivre la diffusion des connaissances de façon directe et indirecte. »


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