Servane Barrault est psychologue clinicienne et maître de conférences HDR en psychologie à l’Université François Rabelais de Tours ; Isabelle Varescon est professeure de psychologie clinique et psychopathologie à l’Université Paris Cité et elle dirige le Laboratoire LPPS. Les deux chercheuses viennent de publier dans la prestigieuse revue Journal of Gambling Studies (chez Springer) un article issu d’une étude réalisée sur la classification des joueurs de pokers connaissant des problèmes de jeu. Leur problématique principale visait à savoir si cette classification s’inscrivait dans le modèle «pathways» de Blaszczynski et Nower [1]. Présentation.
L’étude des problèmes d’addiction au jeu, et notamment les facteurs de risque, s’appuie sur l’élaboration de modèles théoriques, étayés puis vérifiés par l’expérimentation. En matière d’addiction aux jeux de hasard et d’argent, on retrouve dans la littérature récente plusieurs modélisations de ces facteurs de risques. On peut citer par exemple le modèle trivarié résultant d’une interaction entre l’individu, son contexte socioculturel et l’objet de l’addiction (Olivenstein, 1970) ou encore, et de façon plus récente, le modèle dit de « pathways » qui différencie trois sous-types de joueurs (Blaszczynski et Nower, 2002) desquels peuvent découler trois stratégies thérapeutiques.
Dans la présente étude, c’est le modèle « pathways » de Blaszczynski et Nower, qui a été utilisé. Ce modèle définit trois types de joueurs : les sujets vulnérables sur le plan émotionnel, des joueurs dits « antisociaux impulsifs » et enfin les joueurs au « comportement conditionné », sans pathologie prémorbide. Ces trois profils de joueurs peuvent être reliés à des types de jeux pratiqués.
Jusqu’à ce jour, aucune étude n’avait tenté d’intégrer les joueurs de pokers dans le modèle pathways. Pour répondre à cette lacune expérimentale, les deux chercheuses ont recruté en ligne un échantillon de 245 joueurs de poker réguliers (dont 146 joueurs sans problème, 83 joueurs de poker à problèmes et 16 joueurs pathologiques probables). Elles ont ensuite évalué de multiples variables du modèle pathways (impulsivité, recherche de sensations, consommation d’alcool et de tabac, anxiété, dépression, distorsions cognitives) afin de déterminer si les profils des joueurs de poker correspondaient à un ou plusieurs sous-groupes de joueurs.
L’analyse de cluster a montré que les joueurs de poker pouvaient être regroupés selon un profil unique de pratique du jeu. Par rapport aux joueurs sans problèmes de jeu, les joueurs à problèmes ont montré des niveaux significativement plus élevés de dépression, d’impulsivité, de distorsions cognitives liées au jeu et à la consommation d’alcool. Les résultats suggèrent que les joueurs de poker ayant un jeu problématique entrent dans le groupe dit « des joueurs conditionnés » dans le modèle de Blaszczynski et Nower. À la lumière de ces résultats, cette étude ouvre donc des perspectives nouvelles tant sur le plan de la recherche que sur le traitement du jeu problématique chez les joueurs de poker.
Accéder à la publication:
https://link.springer.com/article/10.1007/s10899-022-10123-9
[1] Blaszczynski, A., & Nower, L. (2002). A pathways model of problem and pathological gambling. Addiction, 97, 487–499.