Marie-Line Tovar, Responsable du Pôle Innovation et Expérimentation sur le jeu excessif à la SEDAP (France) et Jean-Michel Costes, chercheur associé à la Chaire de recherche sur l’étude des jeux de Université Concordia à Montréal (Québec, Canada) nous font part des les premiers résultats de l’étude menée sur les comportements de jeu d’argent chez les mineurs de 15 à 17 ans, dans le cadre du projet ENJEU-Mineurs qui a interrogé 5 000 jeunes sur leurs pratiques de jeux d’argent et de hasard. Plus d’un tiers sont joueurs et 1 sur 5 serait concerné par le jeu problématique.
« En France, l’offre de jeux d’argent et de hasard (JAH) aux mineurs est réglementée afin d’en limiter l’accès aux adolescents. Dès 2014, une enquête nationale a pourtant mis en évidence le fait qu’une forte minorité des 15-17 ans avaient investi ces activités.
Afin de documenter ces pratiques et d’en mesurer l’évolution, la SEDAP a conduit en 2021, la recherche ENJEU-Mineurs (revue de la littérature, étude qualitative et étude quantitative) avec l’appui de l’Autorité nationale (ANJ). Le suivi du projet a été réalisé par un comité de pilotage et un comité de relecture.
L’enquête quantitative conduite au printemps 2021 a interrogé sur Internet 5 000 jeunes à propos de leurs pratiques de JAH et plus spécifiquement les 1 740 s’étant déclarés joueurs au cours des douze mois ayant précédé l’étude. Les premiers résultats publiés dans ce numéro de Zoom' Recherches ont été enrichis des éléments de la revue de la littérature et des résultats de l’étude qualitative.
Un tiers des 15-17 ans pratiquent les JAH, principalement le grattage
Plus d’un tiers des jeunes de 15 à 17 ans (34,8 %) déclarent avoir joué au moins une fois à des JAH au cours des douze derniers mois. Ce niveau élevé est un peu supérieur à celui qui avait été relevé en 2014[2] (32,9 %). La pratique continue d’être plus marquée chez les garçons que chez les filles (36,1 % vs 33,4 %) mais les comportements entre les sexes ont eu tendance à se rapprocher. Enfin, l’activité progresse avec l’âge puisqu’elle concerne 33,0 % des mineurs de 15 ans et 38,3 % des 17 ans. Cette pratique des jeux d’argent apparaît répandue dans tous les milieux socioculturels.
Parmi les joueurs, près de 8 mineurs sur 10 (78,4 %) ont pratiqué des jeux de grattage pendant les douze mois précédant l’étude. Près de la moitié (48,4 %) ont effectué des jeux de tirage, 28,3 % des paris sportifs et 21,5 % des paris sur des compétitions de e-sports. Tous les autres jeux pratiqués pendant l’année écoulée (paris hippiques, machines à sous, poker, autres jeux de casino ou paris financiers) ont rassemblé moins d’un jeune joueur sur cinq. Six joueurs sur 10 (60,1 %) pratiquent plusieurs jeux.
En rapportant ces résultats à l’ensemble des jeunes Français de 15-17 ans, il apparaît qu’au cours de l’année précédant l’enquête, plus d’un quart des mineurs ont pratiqué des jeux de grattage (27,3 % des jeunes), qu’environ un sur 6 a effectué des jeux de tirage (16,9 %) et près de 1 sur 10 des paris sportifs (9,9 %).
Tous jeux confondus, les jeunes interrogés ont commencé à jouer aux JAH en moyenne à 13,3 ans en débutant par le grattage. Cette activité est prépondérante chez les filles quand les paris sportifs sont surtout expérimentés par les garçons.
Accès au jeu, rôle des parents et impact de la publicité
Outre la prévalence des activités, ENJEU-Mineurs fournit des informations sur l’accès au jeu, le contexte des pratiques et l’environnement susceptible d’influencer celles-ci.
Pour la moitié des joueurs, les jeux proviennent exclusivement d’un lieu physique (49,9 %), pour un joueur sur dix (11,3 %) le jeu se fait uniquement en ligne et quatre joueurs sur dix (38,8 %) citent les deux modes. Les trois quarts des jeunes (73,4 %) savent que l’offre de JAH leur est en théorie interdite, mais cela n’est pas toujours un obstacle. La part de mineurs percevant l’accès aux jeux dans les points de vente physiques comme relativement aisé est importante : plus de la moitié déclarent qu’il leur est très ou assez facile de jouer à des cartes à gratter (53,1 %) chez le buraliste, un quart d’entre eux de participer à des tirages (24,0 %) et un sur cinq de miser sur des paris sportifs (20,0 %). Concernant le jeu en ligne, les paris sportifs sont ceux dont l’accessibilité leur semble la plus facile (25,2 %).
Au-delà, l’enquête fournit des éléments d’information sur le contexte de jeu et le rôle éventuel des parents (un adulte sur deux étant joueur dans l’année). Les sommes investies par les mineurs dans les JAH proviennent de leur argent de poche (51,9 %), de cadeaux pécuniaires reçus à leur anniversaire/pour Noël (24,6 %) mais aussi de la participation financière de leur mère (33,0 %) et père (23,0 %). Par ailleurs, les partenaires de jeu d’argent les plus souvent cité par ces jeunes sont leur mère (45,7 %) et père (35,7 %) devant les pairs et amis. Enfin, un quart des jeunes (23,6 %) déclarent accéder à des jeux en ligne en utilisant le compte de leurs parents avec l’accord de ces derniers. Même si sept jeunes sur dix (68,5 %) affirment que leurs parents sont au courant des risques liés aux JAH, certains de ces adultes semblent avoir une position ambiguë dans la mesure où ils interviennent activement dans l’achat et la pratique des JAH de leurs enfants mineurs.
Les jeunes ont aussi été interrogés à propos des sollicitations publicitaires entourant les jeux et sur leurs perceptions des impacts éventuels de ces publicités. Près de neuf joueurs sur dix (86,6 %) déclarent avoir lu, vu ou entendu des messages publicitaires relatifs à des JAH dans les médias (46,5 %), sur les réseaux sociaux (35,2 %) et dans les points de vente (32,3 %). Et un quart d’entre eux (26,4 %) déclarent avoir reçu des messages publicitaires lors d’utilisation d’applications de jeux gratuits. S’agissant de l’impact de ces publicités, un tiers des jeunes joueurs (32,3 %), mentionnent qu’elles incitent à se projeter en termes d’achats consécutifs à un gain éventuel et un quart (23,8 %) que les messages poussent à leur faire croire qu’ils peuvent gagner.
Des comportements à risque en forte progression
Alors que leur protection constitue une priorité de santé publique, l’évaluation de la part des mineurs rencontrant un problème avec leur activité de JAH est une question particulièrement sensible. Afin de déterminer leur proportion, ENJEU-Mineurs a utilisé l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE), outil de repérage international. Sur l’ensemble des joueurs dans l’année, 12,9 % sont des joueurs à risque modéré et 21,9 %, des joueurs excessifs (les garçons étant plus nombreux que les filles à présenter des pratiques à risque). Au total, si la proportion de joueurs de 15 à 17 ans est équivalente à celle de 2014, la part des joueurs à risque (joueurs modérés et excessifs) a très fortement progressé : de 11,0 % à 34,8 %. En rapportant ces résultats à l’ensemble des 15-17 ans, la prévalence est estimée à 4,5 % de joueurs à risque modéré et de 7,6 % de joueurs excessifs.
La méthodologie de l’enquête (un sondage en ligne pouvant surestimer l’intensité des pratiques) ou la proximité de l’Euro de football lors d’une partie du recueil peuvent avoir influé cette estimation. Il n’empêche que la place croissante d’Internet dans le paysage des jeux d’argent, l’accroissement de l’offre et la maîtrise de certains mineurs pour accéder à des jeux interdits ou illégaux ont pu contribuer à cette hausse. Le concept de JAH recouvre des réalités très différentes selon la nature des jeux pratiqués. ENJEU-Mineurs permet de distinguer une typologie de joueurs aux profils d’activité contrastés allant des pratiquants aux seuls jeux de grattage aux joueurs cumulant l’ensemble des activités, y compris des jeux pour lesquels il n’existe pas d’offre légale en France (machines à sous, jeux de casino, paris sur des compétitions e-sports, paris financiers). Or, si l’on dénombre peu de comportements à risque parmi les joueurs de loterie, la caractéristique des joueurs excessifs repose sur la pratique d’une diversité de jeux en ligne légaux ou illégaux.
Le second volet de l’analyse ENJEU-Mineurs publié au deuxième trimestre 2022 portera spécifiquement sur les pratiques à risque.
Quelques recommandations d’actions
ENJEU-Mineurs permet de mettre en exergue une série d’enseignements susceptibles d’être traduits en termes de recommandations :
- Il apparaît essentiel d’associer aux opérations de prévention les mineurs directement concernés mais aussi leurs parents.
- Les actions publicitaires générales ou ciblées doivent faire l’objet d’une vigilance particulière et, si nécessaire, être davantage réglementées pour protéger les jeunes et les familles.
- Compte tenu de sa part croissante auprès des jeunes générations le jeu sur Internet et sa promotion doivent être suivis avec attention.
- L’application des dispositions légales interdisant l’offre de jeux aux mineurs en points de vente doit être scrupuleusement surveillée et respectée.
- L’accès aux dispositifs d’aide et de soins existant doit être promu auprès des jeunes.
- Les actions envisagées auprès des mineurs doivent s’inscrire dans un parcours également conçu à destination des jeunes majeurs engagés dans ces comportements. »
Pour Emmanuel BENOIT, Directeur général de la SEDAP :
« Dans un domaine qui s’est beaucoup transformé ces 10 dernières années et où les sollicitations à jouer sont récurrentes voire omniprésentes en période d’événements sportifs, les résultats de l’étude ENJEU-Mineurs soulignent l’urgence et la nécessité d’élaborer des stratégies de prévention psycho-éducatives basées sur des programmes probants et validés. La fragilité émotionnelle de l’adolescence constitue un terrain favorable à l’instauration de vulnérabilité, ainsi la protection des mineurs doit être une priorité. L’évolution des pratiques de jeu chez les mineurs sont un élément à documenter dans le temps pour effectuer des comparaisons, cette étude devra se renouveler permettant de suivre l’augmentation ou le fléchissement des pratiques. »
La SEDAP
La Société d’Entraide et d’Action Psychologique (SEDAP), association régie par la loi 1901 et reconnue d’intérêt général, a mis en place en 2014 le Pôle d’Innovation et d’Expérimentation sur le Jeu Excessif (PIEJE). Celui-ci développe des projets de recherche fondamentale et appliquée, expérimente des dispositifs d’actions et élabore des outils en faveur de la Réduction des risques et des dommages (RdRD), de la prévention et du soin dans le domaine des JAH. Son objet est d’agir contre le jeu excessif et de faire obstacle au jeu des mineurs, par exemple à travers le programme BIEN JOUER, outil de prévention éducationnelle.
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Contact :
SEDAP : https://www.pieje.addictions-sedap.fr
07.85.41.30.95 / pieje@addictions-sedap.fr
[1] Marie-Line Tovar, Jean-Michel Costes « La pratique des jeux d’argent et de hasard des mineurs en 2021 (ENJEU-Mineurs) » SEDAP, Février 2022, 22 p.
[2] Baromètre de Santé publique France 2014