L’appel à contributions pour le numéro 21 de Sciences du Jeu est lancé.
Le prochain opus de la revue, éditée par le Laboratoire Experice de L’Université Sorbonne Paris Nord, sera dédié à la question des jeux vidéos et plus particulièrement comment ces pratiques peuvent faire problème et/ou faire méditation, notamment pour les usagers à l’âge de l’adolescence. Cette édition sera dirigée par Benoiste Salembier et Renaud Hétier. Les propositions d’article peuvent être envoyées jusqu’au 30 novembre. Présentation.
Dossier thématique coordonné par Benoiste Salembier et Renaud Hétier
Le rapport des adolescents au numérique est aujourd’hui marqué par une très forte prégnance. C’est souvent leur principale activité, occupant selon différentes études deux fois plus de temps que leur temps passé à l’école (Spitzer, 2019). Au sein des activités numériques, le jeu vidéo occupe une place significative (5,3 milliards de chiffre d’affaires rien qu’en France en 2020 selon le rapport du SELL — S.E.L.L (syndicat des éditeurs de logiciel de loisir) — avec un total de 71 % de la population française qui joue occasionnellement — Individus se déclarant jouer au moins une fois dans l’année aux jeux vidéo.), à présent autant pour les filles que pour les garçons (47 % pour les femmes et 53 % chez les garçons). Les effets de cet investissement sont discutés, notamment du point de vue psychologique et psychanalytique (Tisseron et al 2006, Tisseron, 2012 ; Stora, 2018 ; Gillet et Leroux, 2021 ; Leroux, 2019), mais aussi du point de vue cognitif (Ducanda, 2021). Dans l’opinion commune, pour bien des parents notamment, comme dans les médias, mais aussi pour certains auteurs, cet investissement est décrit comme un problème. Ce problème prend différentes dimensions, qui peuvent se cumuler, notamment :
- Le temps passé qui peut être très important,
- La nature même de certains jeux (le type d’activité et de projection qu’ils sollicitent),
- La dépendance, voire l’addiction qu’ils peuvent créer (système de récompense, possibilité de rejouer, sentiment d’engagement vis-à-vis d’autres joueurs en ligne, etc.) et donc la difficulté à s’arrêter et à laisser place à d’autres objets.
- La virtualisation de l’existence (Hétier, 2021), non pas au sens d’une perte du principe de réalité, mais d’une désaffection envers le réel, sa complexité, sa résistance, les angoisses qu’il procure, etc. (un joueur interrogé évoquait ainsi le fait de « ne pas se salir les mains »)
Ce numéro de Sciences du jeu visera à mettre en perspective cette dimension potentiellement problématique, en se demandant pour qui cela fait problème, avant de se demander pourquoi cela fait problème. L’investissement des jeux vidéo pourra ainsi être analysé comme symptôme ; non pas seulement comme symptôme du joueur « pathologique », mais comme symptôme de la condition de l’adolescent, de la relation entre l’adolescent et ses parents et du cadre éducatif dans la modernité tardive (Rosa, 2018), impliquant tout autant ses parents que lui.
S’il apparaît que l’investissement du jeu vidéo des adolescents est massif et qu’il fait souvent « fracture », on pourra alors s’intéresser à la manière dont il est vécu comme problème par les parents, qu’il soit vecteur d’incompréhension, de distance ou de conflit. Là encore, il s’agira de se donner les moyens d’interpréter une certaine focalisation sur cet objet qui fait séparation, entre sortie de l’enfance (et une relation parents/enfant idéalisée) et entrée dans la vie adulte (et la perspective d’une relation entre pairs autonomes). On pourra aussi se demander de quoi les jeux vidéo prennent la place. La nécessité d’un objet de séparation comme celle d’un objet de médiation seront prises en compte.
Trop souvent, la dénomination d’un objet, dans son unicité, écrase la diversité de sa réalité. Les jeux vidéo peuvent être très divers, et tous ne posent pas les mêmes problèmes ni n’apportent les mêmes possibilités. Il sera intéressant de repérer des jeux plus ou moins addictifs, plus ou moins sollicitants, etc. Cette analyse sera utile sur fond de questionnement sur la façon dont tel jeu vidéo – et l’investissement qu’il suscite chez tel sujet avec sa problématique propre – peut plus ou moins « faire problème » et/ou, on va le voir, « faire médiation ».
On pourra enfin s’intéresser aux initiatives pédagogiques, éducatives et thérapeutiques qui font du jeu vidéo un objet de rencontre. Par ce terme nous souhaitons évoquer la possibilité d’une triangulation relationnelle, de communication, de partage entre parent(s) et enfant(s) avec l’objet « jeux vidéo ». On pourra notamment prendre en considération une posture qui place l’adulte en position de s’intéresser aux jeux investis par l’adolescent (quels que soient ces jeux), selon trois occurrences éventuellement complémentaires : s’y intéresser/en parler, jouer ensemble, regarder jouer/être à côté. D’une telle posture, on verra si cela permet de dédramatiser l’investissement du jeu vidéo, de nourrir la relation adulte/adolescent (et de réduire la fracture), de limiter l’investissement en cessant d’en faire un objet de séparation. On s’intéressera aussi aux initiatives qui passent par l’investissement de l’adulte lui-même dans l’univers des jeux vidéo, de manière à avoir une certaine compétence – et de devenir un interlocuteur de l’adolescent –, voire d’être à son tour force de proposition de tel ou tel jeu vidéo. Dans cette perspective, il peut être intéressant de voir si l’adulte peut proposer un déplacement significatif, dédramatisant le rapport aux jeux vidéo ou ouvrant un rapport plus distancié à ceux d’entre eux qui sont censés poser problème. Enfin, on peut aussi envisager que le dialogue adulte/adolescent permette de choisir des objets ensemble (comme on discuterait ensemble d’un lieu de vacances, ou d’un choix de film à regarder ensemble au cinéma par exemple) et de s’y aventurer ensemble, retournant à l’occasion l’objet de séparation en objet commun.
L’étude des problèmes posés par l’investissement des jeux vidéo par les mineurs ainsi que celle de la possibilité d’en faire un objet de médiation peut relever de différentes approches disciplinaires. Si la psychologie est privilégiée dans cet appel, celui-ci n’exclut pas d’autres disciplines, notamment les sciences de l’éducation, la sociologie ou les sciences de l’information et de la communication
Axes
1. Apprendre du symptôme
Qu’est-ce que nous révèle le symptôme « relation pathologique au jeu vidéo » ? De quoi parlons-nous quand nous évoquons une addiction au jeu vidéo ? Comment entendre ce nouveau symptôme dans la relation entre parents et enfants de nos jours ? Que nous révèlent ces nouvelles « dépendances » aux mondes virtuels de la situation sociétale et culturelle de l’enfance et de l’adolescence actuelles ?
2. La parole des parents
Comment se placent les éducateurs des enfants face à ces nouveaux médias ? Quels dispositifs existent pour accompagner la parentalité face aux objets virtuels maitrisés par leurs enfants / ados ? Quelle place les parents peuvent-ils (re)prendre pour permettre la rencontre entre eux et leurs enfants avec l’objet jeu vidéo ?
3. En-jeux adolescents, le jeu vidéo comme nécessité ?
Séparation et individuation ? Comment ce nouvel objet entre en jeu dans le processus adolescent ? Comment faire exister un espace d’intimité nécessaire à l’adolescent qu’il trouve dans l’univers vidéoludique et, en même temps, permettre au parent de le rencontrer sur un espace semblable ?
4. Médiatiser : c’est rencontrer
Pouvons-nous proposer un autre rapport aux jeux vidéo aux enfants ? Existe-t-il des jeux vidéo plus « médiateurs » que d’autres ? Quels dispositifs peuvent être mis en place dans les espaces thérapeutiques, familiaux, éducatifs et institutionnels ? Comment envisager la place du parent dans cette médiatisation auprès de son enfant ?
5. Quand les jeux convoquent et rassemblent tous les âges
Loin de certains a priori sur les jeux vidéo (violents, décérébrants, puérils, addictifs, etc.), un certain nombre de productions problématisent des questions sociétales (et notamment : racisme, inégalités, déshumanisation technologique, maltraitance et esclavagisme entre robot et humain, dévastation écologique, conflits armés, Anthropocène, etc.). On peut alors se demander si ces jeux sont des occasions privilégiées de rencontre (dialogue, débat, engagement, etc.).
Pour soumettre un article
La réponse à cet appel se fait en deux temps.
Dans un premier temps, les auteur.trice.s désirant répondre à cet appel doivent envoyer aux responsables du dossier une proposition n’excédant pas 5000 signes avant le 30 novembre 2022. Les responsables du dossier leur répondront quant à l’adéquation de celle-ci au projet.
Dans un deuxième temps, les auteurs envoient leur article au plus tard le 30 juin 2023 ainsi que les éléments demandés en fichier joint (le nom du fichier est le nom de l’auteur) au format « .doc ». Ce fichier est composé des éléments suivants :
- Le titre de l’article et le nom du (des) auteur(s) avec leur rattachement institutionnel et contact courriel.
- Un résumé de 1000 signes, espaces compris, en français et en anglais.
- Une liste de mots-clefs (5 à 8) en français et en anglais.
- L’article, d’une longueur de 25 000 à 50 000 signes, espaces compris, devra respecter les indications aux auteurs. Une autre version de l’article, entièrement anonyme (références, nom de l’auteur, etc.), devra également être jointe pour évaluation.
- Une courte biographie du (des) auteur(es).
Ces documents sont envoyés par courrier électronique à Benoiste Salembier (benoistes@gmail.com) et Renaud Hétier (renaud.hetier@uco.fr)
Calendrier
- 30 novembre 2022 : date limite pour soumettre d’une proposition
- Décembre 2022 : retour sur les résumés
- 30 juin 2023 : date limite de réception des articles
- Octobre 2023 : Retour des avis aux auteurs des articles après expertise en double aveugle
- 31 janvier 2024 : date limite de remise des articles définitifs
- Février - avril 2024 : dernières lectures et allers-retours avec les auteurs puis avec les responsables de la revue
Bibliographie
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Document annexe
- Appel à textes n°21 (application/pdf – 206k)
Notes
1 S.E.L.L (syndicat des éditeurs de logiciel de loisir). L’essentiel du jeu vidéo (novembre, 2020), consulté le 21.02.2022 sur https://www.sell.fr/sites/default/files/essentiel-jeu-video/ejv_novembre_2020_def_web-compresse_0.pdf
2 Individus se déclarant jouer au moins une fois dans l’année aux jeux vidéo.
Retrouver l’appel sur : https://journals.openedition.org/sdj/4369
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