Entraves et limite du jeu vidéo : Là où s’arrête le jeu
colloque

Entraves et limite du jeu vidéo : Là où s’arrête le jeu

Les 19, 20 et 21 juin prochains, la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’université de Limoges accueillera un colloque international et pluridisciplinaire dédié à interroger les notions de limites et d’entraves dans le jeu vidéo.

En partant des paramètres qui retiennent, empêchent, contraignent, au cœur de ces jeux, il s’attachera à analyser ces éléments qui marquent la fin, l’impossibilité d’aller plus loin, le cadre que l’on ne peut pas dépasser, mais aussi la volonté de séparer, de distinguer, de discriminer.

Il s’agira donc de questionner ce qui peut faire obstacle au cœur du gameplay, de la narration, des discours, tant pour les personnages que pour les joueur·ses dans leur progression, mais aussi IRL (In Real Life - dans la vie réelle), à la fois dans la pratique et dans la création. Les solutions et des manières de contourner ces difficultés seront également mises à l’honneur.

Argumentaire

« Moi aussi, j’étais aventurier autrefois, et puis j’ai pris une flèche dans le genou »
Un brave soldat,
The Elder Scrolls V : Skyrim

Comment ne pas être sensible au destin empêché de ce soldat, contraint et forcé d’abandonner son rêve d’exploration, alors que nous poursuivons notre route vers Sovngarde ? Prenons au sérieux ce bark vidéoludique, et considérons cette phrase banale prononcée par un PNJ au détour d’une ruelle de Blancherive comme invitation à réfléchir aux entraves et limites rencontrées par tou·tes dans le domaine vidéoludique. Ces deux thèmes seront au cœur de nos réflexions, à l’occasion d’un colloque international, qui se tiendra les 19, 20 et 21 juin 2024 à Limoges.

Nous entendons entraves et limites dans leurs sens complémentaires : en partant des paramètres qui retiennent, empêchent, contraignent, nous souhaitons évoquer ces éléments qui marquent la fin, l’impossibilité d’aller plus loin, le cadre que l’on ne peut pas dépasser, mais aussi la volonté de séparer, de distinguer, de discriminer. Il s’agira de questionner ce qui peut faire obstacle au coeur du gameplay, de la narration, des discours, tant pour les personnages que pour les joueur·ses dans leur progression, mais aussi IRL, à la fois dans la pratique et dans la création, et la manière de contourner ces difficultés. Car ce qui est souvent présenté comme un univers sans limites en possède de nombreuses, dont la nature est renouvelée en fonction des contextes vidéoludiques : accès à une technologie inédite, compréhension de la grammaire du jeu, obstacles des représentations, conditions de production etc.

Nous proposons d’étudier entraves et limites à travers six axes de réflexion ouverts et non exclusifs, dans lesquels pourront s’inscrire des propositions de communications issues des différents champs des sciences humaines et sociales :

Axe 1. Quelles limites pour penser le jeu vidéo ?

Comme l’explique Vincent Berry (2009), il existe de multiples « façons de penser le jeu vidéo » : média, art, culture, outil pédagogique, esport… Néanmoins, cette richesse ne porte-t-elle pas en elle le risque d’une indéfinition, parfois source de contradictions ? Si ces questionnements ne sont pas nouveaux, ils nécessitent d’être actualisés : nombreuses sont les controverses portant sur ces qualificatifs. Qu’il s’agisse de la désignation de l’esport comme sport (Besombes, 2018) ou des débats autour de la notion d’art appliquée au jeu vidéo (10e art, art total, anti-art), comment définir aujourd’hui le jeu vidéo ? Dans le cadre de la recherche, il pose notamment la question de nos méthodes et de nos approches, la pluridisciplinarité étant plus que jamais requise dans l’étude des jeux vidéo. Du point de vue des genres vidéoludiques, il nous pousse à réévaluer leur conception, dans la mesure où ceux-ci tendent vers des formes d’hybridation (action-RPG, action-aventure, intégration d’éléments de RPG dans d’autres genres etc.).

Axe 2. Négocier les règles du jeu

Le jeu vidéo est affaire de résolution : qu’il s’agisse d’objets, d’énigmes ou d’adversaires, de nombreux obstacles se dressent sur le chemin des joueur·ses, à travers des choix de narrative, level ou game design conçus comme autant de défis à relever pour progresser dans la diégèse. Ces décisions influencent les degrés de difficulté (Levieux, 2011) et de liberté auxquels les joueur·ses seront confronté·es, à travers le choix de la structure de jeu (monde ouvert, platformer) ou du genre dans lequel il s’inscrit (Letourneux, 2005) : la nécessité d’échouer relative au die-and-retry (Hades, Supergiant Games, 2020), tout comme les multiples possibilités offertes par les immersive sim (Prey, Arkane Studios, 2017) en sont l’exemple. Ainsi, ces entraves à la progression fonctionnent tout à la fois comme limites, où leur élimination est nécessaire pour pouvoir continuer l’aventure (Dark Souls, From Software), et comme guides, où leur contournement peut mener à d’autres découvertes (Elden Ring, From Software, 2022). Ce sera notamment l’occasion d’aborder la question des limites géographiques et cartographiques des mondes vidéoludiques et la manière dont elles se manifestent dans le jeu.

Axe 3. Des imaginaires sans limites ?

Le choix des imaginaires dans lesquels s’inscrivent ces jeux conditionne également la nature des limites : celle des corps (Soma, Frictional Games, 2015), mais aussi des sociétés, à travers les fictions climatiques, écologiques (Chang, 2019) ou post-apocalyptiques (LISA : The Painful, Dingaling Productions, 2014), présentant des mondes dévastés (Death Stranding, Kojima Productions, 2019) ou en reconstruction (Horizon : Forbidden West, Guerrilla Games, 2022) et s’inscrivant dans une forme de culture apocalyptique (Gervais, 2004). Ces multiples dimensions posent en filigrane la question de la pertinence – et donc des limites – du jeu vidéo pour traiter de ces questionnements (Bailes, 2019), considérant l’industrie vidéoludique à la fois comme l’une des plus énergivores, mais aussi comme l’un des espaces du capitalisme tardif (Jameson, 1991 ; Harvey, 2001 ; Bonenfant, 2021). Par ailleurs, nous pourrons évoquer la multiplication des projets cross- et transmédiatiques (Jenkins, 2006 ; Blanchet, 2010), aussi bien du point de vue des stratégies marketing et commerciales, que de celui du dépassement des limites du jeu vidéo au-delà de son support initial (The Last of Us, Naughty Dog), participant ainsi à la construction de gigantesques univers (The Witcher, CD Projekt RED).

Axe 4. Un médium excluant

Ce quatrième axe porte sur les limites structurelles et systémiques touchant le jeu vidéo et ses actrices et acteurs : quelles sont les entraves à la pratique et à la création du point de vue des discriminations ? Les polémiques – plus ou moins récentes (Perret & Giner, 2022) – qui ont marqué l’actualité vidéoludique nous rappellent sans cesse que le jeu vidéo est loin d’être l’un des médias les plus progressistes, malgré sa paradoxale jeunesse (Shaw, 2014). Les questions de diversité (Lignon, 2015 ; Chang, 2017 ; Derfoufi, 2021), d’accessibilité (Brown & Anderson, 2021) et des (im)possibilités d’accès économiques et sociales – les prix des jeux, des technologies et des machines ne cessant d’augmenter – seront ainsi abordées, en priorité à partir des études et approches queer, trans, postcoloniales, décoloniales, dans une perspective intersectionnelle. Ainsi, l’étude des réponses et solutions envisagées pour que le jeu vidéo puisse véritablement être un loisir grand et tous publics sera la bienvenue. Dans le même temps, nous proposons de travailler à un réexamen de la sociologie des joueur·ses, vis-à-vis de ces nouvelles pratiques (Ter Minassian et al., 2021) et des travailleur·ses, questionnant ainsi les conditions de persistance de la figure hégémonique décrite par Marion Coville (2014).

Axe 5. La création entravée

Alors que l’industrie vidéoludique a largement bénéficié de la période du Covid-19 et des multiples confinements (Dyer-Witheford & De Peuter, 2021), l’ensemble de ses actrices et acteurs n’a toutefois pas profité de cette parenthèse, qui semble d’ailleurs s’essouffler : entre inflation et difficultés d’approvisionnement en matières premières (pénuries de PS5, presse vidéoludique en péril, indiepocalypse), le jeu vidéo est frappé par de multiples crises, préexistantes, et parfois accentuées par le contexte social, géopolitique et économique international. Alors, si, comme on le dit souvent, la sortie d’un jeu relève du miracle, comment concevoir ces limites (financières, temporelles, technologiques, structurelles) auxquelles se heurte le processus créatif ? La question des obstacles au développement est ici fondamentale, et à travers elle, celle des conditions de travail (Zabban et al., 2020 ; Vétel, 2018), entre harcèlement et recours au crunch (Dyer-Witheford & De Peuter, 2006) : à nouveau, les moyens trouvés par les travailleur·ses pour y remédier (syndicalisation, SCOP) seront interrogés. La place des discours sur le secteur indépendant pourra aussi être questionnée à cette occasion.

Axe 6. Jouer avec les contraintes

À rebours de la dimension lucrative, notre dernier axe portera sur la capacité des joueur·ses à faire (re)vivre des opus disparus, oubliés ou menacés par la fermeture de serveurs, la fin programmée des mises à jour ou l’obsolescence de certaines technologies : nous évoquerons ces communautés de fans ayant joué un rôle clé dans la patrimonialisation et la conservation du jeu vidéo à travers le développement du rétrogaming (Urbas, 2020), en maintenant par exemple une actualité autour d’un jeu que ses développeurs voudraient voir disparaître (comme la scène esport de Super Smash Bros. Melee, 2001) ou en les actualisant constamment, à la recherche de nouvelles méthodes de speedrun (Scully-Blaker, 2014 ; Barnabé, 2016). La question de l’agentivité sera à nouveau convoquée. Nous proposons de réfléchir à la manière dont les communautés parviennent à déjouer les limites techniques et technologiques, avec la création de collectifs d’entraide et de réflexion (forums, wikis) et le rassemblement d’individus autour de vidéastes et streameur·ses, permettant de pratiquer le jeu par procuration ou par le visionnage de let’s play (Newman, 2002).

Informations complémentaires

https://www.unilim.fr/ehic/2024/02/19/colloque-international-entraves-et-limite-du-jeu-video-la-ou-sarrete-le-jeu/

Comité d’organisation

  • Loïc Artiaga – Université de Limoges
  • Flavie Falais – Université de Limoges
  • Thomas Luberriaga – Université de Limoges

Laboratoire EHIC (Espaces Humains et Interactions Culturelles – UR 13334), Université de Limoges, avec le soutien de :

  • Point·e Médian·e, groupe de recherche sur le genre dans les arts et en régime médiatique
  • OMNSH, Observatoire des Mondes Numériques en Sciences Humaines

Comité scientifique

  • Fanny Barnabé – Université de Namur
  • Alexis Blanchet – Université Sorbonne Nouvelle
  • Maude Bonenfant – Université Québec à Montréal
  • Diane Bracco – Université de Limoges
  • Cyril Cordoba – Université de Fribourg
  • Marion Coville – Université de Poitiers
  • Mehdi Derfoufi – Université Paris 8
  • Laura Goudet – Université de Rouen
  • Matthieu Letourneux – Université Paris Nanterre
  • Fanny Lignon – Université Lyon 1
  • Jacques Migozzi – Université de Limoges
  • Odile Richard – Université de Limoges
  • Mathieu Triclot – Université Belfort-Montbéliard
  • Bruno Vétel – Université de Poitiers
  • Bertrand Westphal – Université de Limoges
  • Vinciane Zabban - Université Paris 13

Crédit image :

Photo de Vishwasa Navada K sur Unsplash


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