L’être du jeu de mots

L’être du jeu de mots

Le terme « jeu de mots » est souvent interprété de manière littérale qui désigne de facto certains types de jeux sur la langue. Outre sa fonction de transmettre les messages à travers les conventions acceptées, orales et écrites, par ses utilisateurs, la langue nous donne la possibilité de jouer avec elle, sur elle. Le jeu de mots se distingue de certains jeux ayant des règles précises, il n’a pas de règle : la langue, le mot sont le centre du jeu. Les seules contraintes sont celles qui sont posées par la langue elle-même. C’est pour cela que nous arrivons, à travers la langue, à borner grosso modo le mode de fonctionnement du jeu de mots. Il est d’abord question de distinguer le jeu de mots et d’autres formes ludiques langagières. Les analyses transformationnelles qui suivent nous révéleront comment le jeu est produit et quel impact il peut avoir.

L’être est la substance du jeu de mots. À l’aune de la langue, la sonorité et le graphisme sont les deux uniques supports perceptibles du jeu, à l’égard des êtres humains. Un jeu de mots dont le jeu est appréhendé par les humains doit être « sonore » ou/et « visuel ». Ces deux caractéristiques du jeu sont donc les aspects existentiels du jeu avant même que le jeu n’existe. Cette observation est primordiale dans la mesure où la création des jeux de mots, dans sa majorité, exploite ces deux caractéristiques[1].
Le jeu de mots sonore, par exemple le jeu paronymique, est parmi les plus joués et donc les plus intuitifs. La sonorité telle qu’elle est dans la musique et dans le monde réel est un élément existentiel de la langue parlée[2]. La production orale offre plus de facilité dans la création du jeu. La possibilité de combinaisons de phonèmes et de syllabes s’étendrait à l’infini, s’il est possible d’énumérer et de décrire tous les phonèmes et toutes les syllabes dans toutes les langues ainsi que les sonorités n’appartenant à aucune langue. Dans la pratique publicitaire, surtout à la télévision, nous constatons que le mélange des sonorités de différentes langues donne souvent une impression exotique. Le graphisme constitue le second volet de l’être du jeu de mots. Le jeu de mots graphique englobe sensu lato par exemple la calligraphie, les calligrammes dont la caractéristique purement graphique et visuelle est prépondérante : ces jeux sont motivéspar la caractéristique constitutive visuelle d’une langue (l’écriture) et s’étendent à ses utilisations purement iconiques. Le jeu ainsi défini prend un sens large et s’appuie sur la matérialité de la langue écrite : la langue devient un élément constitutif d’une création ludique dont l’aspect saillant n’est pas la fonction langagière mais la fonction iconique. Cette dernière exercée par le signifiant de la langue est d’abord une « image » avant d’être une « image acoustique » selon Saussure.

Le signifiant est la combinaison des deux aspects susmentionnés de la langue, mais selon Saussure, il est un ensemble indissociable du signifié, la segmentation structurale cesse là où il n’y a plus de « sens » : la lettre en majuscule « A » n’a aucune valeur si elle n’est pas impliquée dans un processus de signification. Or, la fonction iconique de cette lettre est fréquemment sollicitée à cause de sa ressemblance avec un artéfact : la tour Eiffel. Cette fonction, quand elle est mise en évidence, transcende les relations triangulaires entre le signifié, le signifiant et le référent. Cette démarche analogue est fondatrice dans les langues idéologiques dont le chinois[3], qui ressemble tout au moins à un jeu d’imitation. Le signifiant constitue donc un niveau supérieur dans la création du jeu de mots.

Par Lichao Zhu, docteur en sciences du langage,Université Paris 13, Laboratoire Textes Théorie Numérique (TTN)


  1. Certains jeux de mots (ou figures de style) exploitent uniquement ces deux caractéristiques de la langue : par exemple, le palindrome, la cacographie, l’anacyclique, le rébus exploitent son aspect graphique voire iconique ; le calembour, la paronymie, la contrepèterie exploitent l’aspect phonique. ↩︎

  2. L’une des preuves en est que la langue transcrit et lexicalise les sons d’animaux, selon les moyens des langues. ↩︎

  3. Certains caractères chinois sont caractérisés par leur ressemblance avec les objets réels. Le caractère « l’eau », « 水 » imite, de manière graphique, les courants d’eau. ↩︎


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