Thomas Fressin est un chercheur atypique. Après des études en sciences de l’information et de la communication et une carrière en informatique qui l’amène aujourd’hui à servir comme officier supérieur de la gendarmerie nationale, il a ajouté, le 13 juin 2020, une nouvelle corde à son arc en devenant docteur en histoire moderne.
Sa recherche, entreprise depuis 2016, sous la co-direction des professeurs Pierre-Yves Beaurepaire (Université de Nice) et Hervé Drévillon (Université Paris-1), qui s’intitule « Des bourgeois en quête de distinction : Les chevaliers des nobles jeux de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse (1589-1793) », a été pour le jeune docteur une façon aussi pertinente qu’industrieuse de faire dialoguer sa passion pour l’histoire militaire des villes, des jeux militaires ou encore des sociétés fraternelles. Souhaitant allier la production intellectuelle et l’efficacité pratique, Thomas Fressin a aussi développé des outils à la croisée du numérique et de ses recherches documentaires. Pour ce faire, il a sollicité le GIS Jeu et Sociétés via ses appels à projets et en a été lauréat en 2018 puis en 2020. Quelques jours après sa soutenance de thèse, il répond aujourd’hui à nos questions.
« Bonjour Thomas Fressin. Vous venez de soutenir votre thèse en histoire moderne sur les chevaliers des nobles jeux de l’arc, de l’arbalète et de l’arquebuse entre 1589 et 1793 ; comment êtes-vous venu à travailler sur ce sujet ? Le choix des directeurs de thèse a-t-il été déterminant ?
Mes recherches sur l’histoire des nobles jeux ont commencé il y a longtemps ; c’était il y a une vingtaine d’années et j’étais alors encore adolescent. Je venais tout juste d’intégrer une société fraternelle de tir, la compagnie d’arc de Champs-sur-Marne, riche de traditions remontant au Moyen Âge. Intrigué, curieux, je me revois, dans le centre d’information et de documentation de mon lycée, parcourir les livres et dictionnaires pour chercher des informations sur les adoubements des chevaliers. Car, encore aujourd’hui, les compagnies d’arc initient leurs membres les plus investis et engagés pour faire d’eux des “chevaliers de l’arc”.
Après avoir rassemblé de nombreux documents liés aux compagnies des nobles jeux, je me suis rendu compte de la richesse de mon corpus d’étude et du sujet. Et, l’étude des sources manuscrites et imprimées m’a permis de constater un véritable décalage entre l’histoire “réelle” et celle véhiculée aujourd’hui oralement au sein de l’archerie traditionnelle. Ayant déjà eu par le passé le désir de me lancer dans le défi de la thèse de doctorat (c’était en informatique), je me suis dit : “Et si je débutais une thèse en histoire moderne pour valoriser ce riche pan de l’histoire et déconstruite la légende dorée aujourd’hui entretenue.”
Voilà, en somme, les éléments déclencheurs de mon travail de thèse. Mais pour arriver à accomplir ce travail, encore me fallait-il des guides. J’en choisis alors deux : le Pr Pierre-Yves Beaurepaire, car il est le seul scientifique à avoir rédigé un ouvrage sur le sujet (Nobles jeux de l’arc et loges maçonniques dans la France des Lumières. Enquête sur une sociabilité en mutation. Cahors, éditions Ivoire-Claire, 2002) et le Pr Hervé Drévillon pour ce qui concerne le volet militaire de mon travail de recherche.
Vous êtes aussi chargé de cours en informatique dans l’enseignement supérieur. Quelle est votre spécialité en la matière et comment faites-vous dialoguer l’histoire et le numérique ?
Depuis l’année dernière, en plus de mon travail d’officier de la gendarmerie, j’ai en effet entrepris d’être enseignant-chercheur associé en informatique. Ainsi, j’ai l’opportunité d’enseigner le développement web à des étudiants de deuxième année de diplôme universitaire de technologie (DUT) informatique. Ayant un pied dans les sciences dites “dures” et un autre dans les sciences humaines et sociales, j’en profite pour les initier à des problématiques liées à l’éthique informatique. Je tâche ainsi de leur faire toucher du doigt les humanités numériques, les données ouvertes (open data) ou encore le “hacking” vu dans le sens original du terme (l’amélioration des systèmes informatiques pour les utilisateurs).
Passionné par la recherche-action, je cherche toujours à proposer à mes étudiants des travaux dirigés en lien avec des projets de recherche. Concrètement, l’année prochaine, mes étudiants auront à réaliser une application qui permettra à des historiens de géolocaliser, sur plusieurs plans du château de Versailles, à différentes époques, les anciens locataires de cette résidence royale. Cela permettra au final à des historiens de représenter et d’étudier la sociabilité d’Ancien Régime à la cour de différents rois.
Vous avez été soutenu à deux reprises par le GIS Jeu et Sociétés pour des projets à la confluence de l’histoire et du numérique. Pouvez-vous expliquer la nature de ces projets et leur visée à destination des chercheurs ?
Quand on est un chercheur relativement autodidacte, à cheval sur plusieurs disciplines et ne pouvant temporellement s’investir que sur des petits projets liés à ses sujets de recherche, l’aide d’un GIS peut alors se révéler primordiale. Le GIS Jeu et Sociétés m’a ainsi clairement permis d’appuyer grandement mes recherches.
D’abord, en 2018, une première aide m’a permis de commander des copies numériques de sources documentaires liées aux mises et prix “sportifs” des compagnies des nobles jeux entre le XVIe et le XVIIIe siècles. Le traitement et l’étude de ces sources, en les mettant en relation avec mon projet de convertisseur de monnaies d’Ancien Régime (http://convertisseur-monnaie-ancienne.fr/), m’a permis de suivre l’évolution de la valeur de ces mises et prix dans le temps.
En 2020, l’aide du GIS me permettra de publier les “annexes numériques” de ma thèse. En d’autres termes, j’ouvrirai au grand public l’ensemble des données historiques collectées au sujet des compagnies traditionnelles de tir. Je tâcherai de développer un standard de partage pour ce type de données, afin de faciliter à terme les échanges de données et l’interopérabilité des systèmes.
Quels sont vos projets futurs ?
Souhaitant partager le résultat de ma recherche doctorale, mon projet à court terme sera très clairement la publication de ma thèse. Sur le moyen et le long terme, plusieurs projets se profilent déjà.
D’abord, je compte montrer que l’histoire sera de plus en plus “augmentée” à l’aide du numérique. La méthodologie de la recherche, du traitement des sources primaires, vont sans doute être bouleversés. Dans un monde qui connaît l’accélération du temps, l’historien devra pleinement être initié aux outils informatiques et les utiliser pour venir à bout de ses recherches.
Par ailleurs, j’envisage de vulgariser l’histoire de la gendarmerie pour le grand public à travers une chaîne YouTube, ou bien encore m’intéresser à l’histoire de la Maréchaussée sous l’Ancien Régime, en étudiant principalement le maillage territorial des brigades, le tout sous forme cartographique. J’ai également d’autres projets liés aux humanités numériques en tête, mais il me faudra sans doute quelques nouveaux partenariats pour qu’ils voient le jour et que je puisse en parler.
Vous venez de réussir avec brio l’épreuve reine pour un chercheur : la thèse de doctorat. Quel(s) conseil(s) pourriez-vous donner aux jeunes chercheurs qui souhaitent se lancer dans une thèse ? Et plus particulièrement ceux qui aimeraient s’intéresser à la recherche sur le jeu et ses enjeux, que ce soit hier ou aujourd’hui ?
Une thèse de doctorat est à mon sens un défi. Si l’on me permet la métaphore, il s’agit pour moi d’un véritable parcours du combattant, qui exige un dévouement sans faille. Et pour le mener à bien, mieux vaut être bien “armé”. Et la première des armes est sans doute la passion de son sujet. Car, comme le dit un proverbe français, “la passion conduit bien plus loin qu’on ne pense.”
Mais la passion doit malgré tout être couplée à la raison. Et, à ce propos, je ne saurais conseiller aux candidats au doctorat de bien s’interroger sur les finalités de leur projet doctoral. Car, comme on le sait, les débouchés dans l’enseignement et la recherche sont aujourd’hui extrêmement réduits, ce qui pose un véritable problème… Je dois avouer que faire une thèse sur mon temps libre, sans pression de recherche de poste universitaire derrière, a été extrêmement appréciable.
Pour celles et ceux qui voudraient faire une thèse s’intéressant aux jeux et à leurs enjeux, je peux naturellement proposer de suivre quelques pistes ouvertes par ma thèse ! En ce sens, des travaux restent à mener, tant en médiéval, qu’en moderne ou en contemporain. Les deux plus passionnants me semblent être l’étude du phénomène de “fédéralisation” des sociétés de tir pour la défense et le développement de leur jeu, ou bien encore l’esprit chevaleresque et olympique lié aux jeux guerriers de tir. »
Illustration : https://www.metmuseum.org/art/collection/search/730801