Le Colloque interuniversitaire francophone en études ludiques (CIFEL) lance un appel à communications pour sa quatrième édition, qui se tiendra du 29 juin au 1er juillet 2026 à l’Université de Namur, en Belgique. Placée sous le thème « Contours et marginalités (vidéo)ludiques », cette édition invite à interroger les frontières et les marges du jeu, des pratiques ludiques et de leurs industries, en mobilisant les sciences humaines et sociales dans toute leur diversité. Présentation de l’appel à communications par les organisateur.

« Pour sa quatrième édition, le Colloque Interuniversitaire Francophone en Études Ludiques (CIFEL) propose d’interroger les contours et marginalités (vidéo)ludiques.

Le jeu a longtemps été envisagé comme un monde clos, défini par des règles, des temporalités et des espaces spécifiques, un « cercle magique », séparé de la vie « courante ». Huizinga (1938) comme Caillois (1958) ont attribué au ludique des frontières claires : celles d’une activité « à part », distincte du travail et du sérieux. Cette perspective a contribué à exclure toute idée d’entre-deux, de marge. Jouer et vivre, jouer et travailler, jouer et être sérieux relèveraient d’univers incompatibles.

Le 29 août 2016, le journal Le Monde titrait pourtant « Najat Vallaud-Belkacem veut interdire les Pokémon rares à l’école ».En effet, le jeu en réalité augmentée Pokemon Go (Niantic, 2016) avait tendance à faire apparaître des créatures à capturer en tous lieux et à tout moment. Cet épisode médiatique illustre la porosité croissante du huis clos historiquement constitutif de la pratique du jeu. Celui-ci s’invite dans les sphères du travail, de l’art, de la politique et, plus largement, dans la vie quotidienne.

La signification et les frontières du jeu se construisent socialement à travers des pratiques, des discours, divers modes d’éducation et des représentations médiatiques. Les limites constituent la culture ludique et définissent ce qui permet le jeu (Brougère, 2024). Réfléchir aux marges du jeu, c’est donc interroger les processus par lesquels une société reconnaît ou non certaines formes et pratiques ludiques. C’est aussi confronter les visions du jeu qui ont cours à travers le monde, et dont on retrouve des traces dans le temps (Wolf, 2015), ou encore examiner la manière dont le jeu s’imprègne des discriminations qui ont cours dans la société. C’est, enfin, questionner par le prisme des marges ce que peut représenter le jeu « ordinaire », « normal » ou « classique » (Juul, 2005) ainsi que les paramètres qui font ou défont les normes des cultures ludiques.

La notion de contours peut également englober les contraintes posées par l’industrie du jeu vidéo et celles qui lui sont imposées. Par exemple, les entreprises mettent en place des barrières artificielles au service de leur modèle économique : du freinage volontaire de la progression des joueurs et des joueuses dans les free-to-play à l’empêchement du jeu crossplay. Inversement, certaines pratiques de l’industrie sont régulées à la suite à de décisions politiques ou judiciaires, à l’instar de l’interdiction des loot boxes en Belgique et aux Pays-Bas. D’autres paradigmes encore s’emparent de cette réflexion sur les seuils et plafonds qu’il faudrait imposer à la production de jeux : qu’il s’agisse de réflexions écologiques sur le coût environnemental des développements technologiques qui supportent une partie de l’industrie vidéoludique (Eckert, 2024), ou encore de discussions éthiques sur les lignes à ne pas franchir (pour ce qui concerne l’implémentation de dark patterns, par exemple ; Dupont et al., 2021). Plus largement, dans l’imaginaire éducatif, le jeu reste encore souvent considéré comme une pratique à laquelle il faudrait imposer des limites. Ces cadres et tentatives de régulation conduisent à des tactiques de contournement (De Certeau, 1980), voire de counterplay (Denoo et al., 2023), de la part des entreprises et des publics.

Dans un jeu vidéo, les limitations se matérialisent aussi au sein des œuvres : elles sont inscrites dans le code, les interfaces et les dispositifs technologiques. Le joueur ou la joueuse fait l’expérience d’une liberté a priori limitée, où chaque action, chaque choix n’existe qu’à l’intérieur d’un cadre prédéfini. Les interactions restent ainsi bornées par la technique et les choix de conception, qui déterminent ce qu’il est possible de réaliser, de voir et d’expérimenter (Philipps, 2024). Certaines œuvres choisissent d’ailleurs de mettre en scène ces limites afin de mieux les interroger. Par exemple, des jeux comme Doki Doki Literature Club! (Team Salvato, 2017), la saga Metal Gear (Konami, 1989)ou The Stanley Parable (Galactic Cafe, Everything Unlimited Ltd., 2013) cherchent à déconstruire l’illusion de liberté offerte au joueur ou à la joueuse : le jeu met en évidence ses propres contours tout en jouant avec eux (Philipps, 2024 ; Surinx, 2020).

Contrairement à la frontière, qui sépare nettement, la marge désigne une aire, une zone périphérique qui vient séparer un objet de ce qui lui est extérieur (Lavigne, 2017). Cet entre-deux permet de faire coexister ce qui relève du jeu et ce qui n’en relève pas, le cadre et ce qui le dépasse. La marge peut ainsi être perçue comme une zone habitable, un lieu de création, de détournement ou d’adaptation, où se développent de nouvelles formes de jeu et de rapports au jeu (Lavigne, 2017). Ce colloque prêtera ainsi une attention particulière aux scènes de création alternatives (secteur non marchand, artgames, demoscene, production amateur, création engagée ou militante, etc.) ainsi qu’aux efforts pour élargir les frontières des cultures ludiques ou faire un pas de côté afin d’en interroger les normes. On peut penser, par exemple, aux travaux actuellement menés pour écrire l’histoire de formes de jeu marginales, locales ou oubliées (Swalwell, 2022 ; Nicoll, 2019), ou aux entreprises visant à repenser les formes de patrimonialisation et de préservation des cultures ludiques en dehors des cadres normatifs installés (Nooney, 2013).

Parfois, la marge du ludique réside dans la conscience de ses limites et dans la manière de les détourner. Ces limites ne constituent alors plus seulement un cadre restrictif, mais deviennent également un terrain d’innovation. Les joueurs et joueuses explorent ces espaces marginaux, transforment le jeu ou s’émancipent de ses règles. Les pratiques de modding ou de speedrun témoignent de cette capacité et de ce désir d’investir les interstices et les failles du système pour en étendre les possibles et évoluer au-delà des contraintes (Newman, 2008). Parfois stigmatisée, la tricherie participe pourtant d’une logique similaire. Elle ne se réduit pas à une transgression des règles, mais participe d’un processus de réappropriation des règles en ouvrant un espace critique où se négocient les rapports entre normes implicites, liberté et pouvoir au sein de la culture vidéoludique contemporaine (Consalvo, 2007). La marge peut encore être envisagée comme le terrain privilégié de la ludification, lorsque des éléments propres aux jeux interviennent dans des contextes non ludiques afin d’augmenter l’engagement et d’améliorer l’expérience de l’usager (Bonenfant, 2023).

Dans ce contexte, les formes actuelles de médiation ou de spectacularisation du jeu (esport, streaming, marathons de speedrun sur Twitch, etc.) participent également à redessiner les formes des objets ludiques et les contours de ce qui est considéré comme une activité de jeu. Le streaming, en particulier, est devenu ces dernières années une pratique massive, diverse et en perpétuelle mutation, qui exerce une influence déterminante tant sur la production que sur la réception des jeux (Taylor, 2018). On peut citer en exemples les phénomènes du backseat, qui consiste à faire participer l’ensemble de son public dans une forme spectaculaire de jeu secondaire (Delbouille, 2018), mais également le format ludique du « Tribunal des bannis », qui interroge la frontière entre ce qui est considéré comme acceptable ou non au sein d’une communauté sur Twitch (Barnabé, 2024), ou encore les formes de spectacularisation des limitations techniques d’un jeu, à l’instar de la quête des far lands dans Minecraft (Mojang Studios, 2019), les territoires aux confins de l’immense espace du jeu, où la génération procédurale dysfonctionne et engendre une multitude de glitchs (Cayatte, 2023).

Nous encourageons la soumission de communications sur les thèmes suivants (liste non exhaustive) :

  • Les imaginaires et discours autour des cadres à poser : injonctions morales, sociales, éthiques ou médiatiques à restreindre ou à encadrer les usages du jeu et la production ludique industrielle ;
  • Les jeux en marge de l’industrie : productions amateur (Hurel, 2020), artgames, création non marchande, etc. ;
  • Les histoires marginales, contre-histoires ou formes alternatives de patrimonialisation et de préservation des cultures ludiques ;
  • Les limitations technologiques ou matérielles et la manière dont elles déterminent les objets et les pratiques ;
  • La médiatisation du jeu et la redéfinition de ses frontières : streaming, jeu secondaire, ludicisation, « jeu hors du jeu » ;
  • Les questions sociales et inclusives : accessibilité, représentations et discriminations ;
  • Les pratiques de détournement : modding, speedrun, machinima, réappropriations engagées ou militantes, réécritures ;
  • Les marges de l’acceptable au sein des communautés de joueurs·euses : toxicité, violence, éthique et régulation ;
  • Les propositions méthodologiques originales permettant d’interroger les contours et marges du jeu.

Si vous avez un doute vis-à-vis de la pertinence de votre communication quant aux thématiques de l’appel, n’hésitez pas à nous écrire.

Nous encourageons vivement les étudiants·es et chercheurs·euses en début de carrière à soumettre leur communication.

La participation est gratuite. »

Cet appel à communications s’adresse aux chercheuses et chercheurs, confirmés ou en début de carrière, intéressés par les manières dont se construisent socialement les limites du jeu, les formes marginales ou alternatives de création (artgames, scènes non marchandes, productions amateurs, pratiques de modding, speedrun, contournements des normes, etc.), ou encore par les dispositifs techniques, économiques et réglementaires qui redessinent les contours des cultures ludiques contemporaines. Les propositions peuvent prendre la forme de présentations orales (résumé anonymisé de 500 mots) ou de prototypes de jeux sans volet de recherche (résumé de 200 mots accompagné d’une vidéo de jouabilité), à soumettre via la plateforme Sciencesconf avant les échéances indiquées, dans le cadre d’un colloque gratuit et attentif aux principes d’équité, de diversité et d’inclusion.

Modalités de contribution

Toutes les propositions doivent être soumises via notre plateforme Sciencesconf : https://cifel.sciencesconf.org/

  • Échéance pour l’envoi des propositions de présentations orales : 9 février 2026
  • Échéance pour l’envoi des propositions des prototypes de jeu : 9 mars 2026
  • Date d’annonce des résultats : 16 mars 2026
  • Tenue du colloque : 29 juin-1 juillet 2026

Pour toute question ou demande d’information, veuillez contacter l’équipe à l’adresse : colloque.cifel@gmail.com.

Source : https://cifel.sciencesconf.org/